Non au blocage des zones à bâtir, oui à un
véritable compromis territorial
Débat: un point de vue opposé à l'initiative pour le
paysage
Raymond Schaffert
Domaine public, 21 novembre 2008
L'initiative populaire «pour le paysage» préconise le gel
des zones à bâtir. Autant dire qu'elle veut stopper le
développement des trois métropoles suisses de Zurich,
Bâle et Genève.
Déposée en août 2008 avec l'appui de 109 422 signatures
valables, l'initiative populaire fédérale «De l'espace
pour l'homme et la nature», communément dite «initiative
pour le paysage», comprend une disposition transitoire stipulant que
«la surface totale des zones à bâtir ne peut être
agrandie pendant vingt ans». Cette disposition suffit à rendre
inacceptable l'ensemble du texte de l'initiative.
Les initiants estiment que les zones à bâtir non construites
représentent 60'000 hectares, soit une superficie suffisante pour
accueillir 2'500'000 personnes en Suisse. Ils ne disent rien de la
répartition géographique de ces terrains constructibles, ni
de la question des emplois, ni surtout du projet d'aménagement du
territoire national auxquel ils pourraient adhérer!
Récemment, l'Office fédéral du développement
territorial (ODT - ARE) a publié trois statistiques concernant les
zones à bâtir 2007: une analyse par canton, l'occupation
actuelle et les besoins futurs selon différents scénarios.
Où l'on voit que les zones à bâtir permettraient
d'accueillir entre 1,4 à 2,1 millions d'habitants
supplémentaires, soit nettement moins que les 2,5 millions
annoncés par les initiants. Où l'on constate par ailleurs
que les zones non construites sont à la fois surdimensionnées
et surtout mal situées, ces réserves se trouvant dans des
régions périphériques et non à proximité
des agglomérations.
Parmi les cantons qui ont les plus grandes capacités d'accueil de
nouveaux habitants et d'emplois supplémentaires, on trouve: Valais,
Fribourg, Jura, Grisons, Tessin, Argovie, Thurgovie, voire, dans une
moindre mesure, Vaud et Saint-Gall. Conséquence d'une
période de l'histoire où l'on pensait qu'une vaste offre de
terrains à bâtir représentait un atout attractif et un
facteur de développement. On y relève également que
les densités du bâti sont parmi les plus faibles du pays.
D'autres cantons, dont Soleure, Neuchâtel, Lucerne et Berne, se
situent autour de la moyenne.
Quant aux trois métropoles de Zurich, Genève et Bâle,
elles se trouvent pour l'essentiel situées sur le territoire des
cantons qui disposent des moindres réserves de zones à
bâtir et dont le sol, de surcroît, est déjà le
plus densément occupé par les constructions. Leur
développement serait durablement gelé par le blocage des
zones à bâtir. En clair: ces cantons, qui ont pratiqué
une politique d'utilisation judicieuse et mesurée du sol, se
retrouveraient très fortement pénalisés par les effets
de l'initiative. A l'inverse, ceux qui ont de vastes réserves ne
seraient pas touchés!
Le leurre du troc des zones entre cantons
Or donc, si le blocage des zones ne pose guère de problèmes
aux cantons qui ont de grandes réserves, ce n'est pas le cas pour
d'autres. Les initiants proposent d'opérer des trocs entre cantons,
l'un radiant chez lui une superficie constructible pour céder
à un autre un droit d'égale surface. Est-ce un droit
cédé gratuitement ou un droit vendu au prix du marché?
La Confédération va-t-elle vouloir– et pouvoir –
imposer ce troc? Cette proposition est bien virtuelle et frise la
supercherie!
Nous partageons le point de vue d'un des auteurs du rapport ARE
précité, exprimé dans le numéro 2/2008 de
Forum, le bulletin d'information de l'ODT-ARE. On y lit cette
pertinente évidence: «le gel de surfaces n'est pas
une bonne solution... les déclassements volontaires sont
improbables.». En clair: les retours à la zone
agricole n'ont aucune chance de se produire.
Urgent: un projet territorial pour la Suisse
Le rapport intitulé Grandes lignes de l'organisation du territoire
suisse, datant de mai 1996 reste le dernier projet qui ait obtenu l'aval
de l'autorité politique. A l'époque, le Conseil
fédéral l'avait soumis aux Chambres qui en ont pris acte. Le
projet proposait, entre autres, d'établir une hiérarchie enre
les villes, de les mettre en réseau et d'intégrer ce dernier
dans un système urbain constitué à l'échelle
européenne. Le tout sans oser se libérer clairement du
mythique principe helvétique dit de la «décentralisation
concentrée». Les Grandes lignes ont sombré
dans l'oubli des politiques et même de l'administration.
Avec le recul, on leur reconnaît le mérite d'avoir
existé.
Depuis lors, «les collaboratrices et collaborateurs de l'ODT-ARE»
ont écrit le Rapport 2005 sur le développement territorial,
dont nul ne sait officiellement si le Conseil fédéral l'a lu
et, ou non, approuvé. Lequel aura laissé le directeur de
l'Office, Pierre-Alain Rumley, poursuivre l'avancement du projet et
organiser dans les différentes régions du pays ces forums
d'échange dont Daniel Marco a relevé l'intérêt
et les limites (DP 1796). Le projet vise à reconnaître
l'importance des trois métropoles de Zurich, Genève et
Bâle, en organisant la tendance à la métropolisation
et, dans ce cadre, le rôle moteur des régions
transfrontalières.
Or, selon nous, il ne s'agit pas d'accepter telle quelle l'évolution
attendue, mais d'en négocier les conditions qui doivent être
socialement acceptables pour parvenir à un véritable
compromis territorial, à l'instar de la convention collective des
maçons signée après un long conflit, qui est un
exemple de compromis salarial.
Dans ce contexte, il faut refuser cette initiative qui demande le blocage
des zones à bâtir pendant vingt ans sans indiquer quel projet
d'aménagement du territoire elle préconise, sauf à
vouloir implicitement bloquer le développement des
métropoles, en s'appuyant sur le slogan «halte au
bétonnage», souvent utilisé par les milieux
«anti-villes».
Il faut plutôt engager les mouvements progressistes à unir
leurs forces pour soutenir et négocier un projet territorial
différent, marqué par une affirmation maîtrisée
des métropoles et des villes. Ce projet devrait faire l'objet d'un
large débat politique et recevoir l'aval du Conseil
fédéral ainsi que des Chambres.
|