Groupe
Genève cinq cents mètres de ville en plus

Colloque interne

La Ville n'est pas la ville

Samedi 6 mai 2006, de 9h30 à 12h30
Grande salle de l'Association pour le patrimoine industriel (API)
rue du Vuache 27, entrée par la cour


Quatre interventions de 20 minutes pour lancer le débat :

  • Que faire de la Ville de Genève ?
    Jean-Daniel Delley
     
  • Faut-il construire une COURGE, Communauté urbaine genevoise ?
    Pierre Milleret
     
  • Autour des années 20-30. L'histoire peut-elle fournir des pistes ?
    Alain Léveillé
     
  • Le projet territorial urbain transfrontalier a-t-il besoin d'institutions qui lui soient propres ?
    Louis Cornut
     


Que faire de la Ville de Genève ?
Jean-Daniel Delley

La relation entre le canton et la Ville a nourri un siècle de débat. A Genève, on parle et on n'aboutit pas.

La fusion de 1930 a donné lieu rapidement à des critiques sur la mise en place d'une administration parallèle à celle du canton, qui par sa taille a créé rapidement des conflits.

Le projet du CE de 1999 d'enlever des compétences aux communes a été refusé par le GC, sans passage en commission.

Le maintien d'une structure communale nous amène à plusieurs questions. La question de fond est : « sur un territoire donné, avec une population donnée, avec des frontières internationales et nationales, Genève (le canton) est une agglomération urbaine, une ville ». Le professeur Walter signale même que « campagne genevoise » est un terme ancien.

Que signifie une structure communale, en maintenant la Ville, qui n'est pas une commune comme les autres ? Les frontières entre communes sont vécues comme un cas difficile. Par exemple : payer des impôts sur la commune de travail et habiter dans une autre commune, discussion sur les subventions entre communes, magistrats d'opérette de la Ville qui représentent Genève dans le monde entier. Il faudrait aussi tenir compte de la dimension temporelle, car la structure s'applique à quelque chose qui a complètement changé, la Ville représentant 75 % de la population en 1930, mais seulement 40 % aujourd'hui.

Les pistes de solutions :

Reconsidérer les compétences entre canton et communes. Par exemple, la Ville a un département des affaires sociales, avec une politique de la jeunesse, une distribution de subventions sociales en plus des cantonales pour ses habitants, une compétence dans la construction des écoles, etc. Les SIG appartenaient à la Ville avant de passer au niveau cantonal, mais les pompiers et les pompes funèbres dépendent toujours de la Ville. Il serait intéressant de chiffrer les coûts des domaines traités à double, et au mauvais niveau.

La solution de 1999 était d'enlever les compétences aux communes et de partager la Ville en cinq à six communes.

Une autre possibilité serait une agglomération urbaine avec la Ville et les communes genevoises, la plus propre étant de créer une seule municipalité, « Genève république et canton » devenant « Genève république et ville », sans structures communales, avec une décentralisation des tâches administratives. Ensuite on pourrait parler de la COURGE, Communauté urbaine genevoise, avec les voisins français et vaudois.


Faut-il construire une COURGE, Communauté urbaine genevoise ?
Daniel Marco, Raymond Schaffert, sur la base d'une discussion avec Pierre Milleret

L'idée de la COURGE est venue à partir du modèle de Lyon, la COURLY, rebaptisée le Grand Lyon, qui regroupe 55 communes. Au début le centre était perçu comme le « grand méchant Lyon » par les autres communes.

Ce qui se passe aujourd'hui c'est la concrétisation des accords de Karlsruhe sur l'organisation des coopérations transfrontalières en matière d'eau, d'assainissement, de nature etc. Cela se matérialise par le biais des groupes locaux de coopération transfrontalière (GLTC). Les transports et le projet d'agglomération genevoise en sont deux exemples.

Pour éviter le danger de la dispersion, il faudrait créer une holding des GLCT pour coordonner l'ensemble, mais personne n'en veut.

PM est assez d'accord avec JJD. Il dit que c'est difficile avec la grosse bête du côté suisse. L'exigence des français est d'être à parité. Donc la Ville de Genève pose problème par rapport à la COURGE.

Quelle est la structure à utiliser pour faire un gouvernement d'agglomération ?

Dans les structures existantes, telles que le Comité régional franco genevois (CFRG), les français envoient des élus et les suisses des fonctionnaires. Dans le CRFG sont représentés les états centraux : Etat français et Confédération suisse, le canton de Genève, la région Rhône-Alpes, les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie. PM ne pense pas devoir faire de l'ordre avant, selon la proposition de JDD, mais se rend bien compte du problème de la Ville de Genève.

Le CRFG a le mérite d'exister et pourrait être transformé en gouvernement d'agglomération, car il est important que les états centraux, représentant les frontières, soient présents. Les membres devraient être élus par le peuple, car sinon il n'y a pas d'égalité entre élus et fonctionnaires. De plus, il faut reconnaître l'importance des accords de Karlsruhe. Il faudrait voir le rôle que pourrait jouer une assemblée constituante 1)  , comme celle qui existe dans le canton de Genève actuellement.

Philippe Brun fait remarquer que le lancement du projet d'agglomération (projet Interreg) a mis en crise le CRFG. Les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI) (par exemple les communautés de communes) regroupés dans l'Association régionale de coopération des collectivités du Genevois (ARC) sont les acteurs de ce projet, copiloté par le président de l'ARC et le Conseil d'Etat. Le CRFG n'a jamais eu d'autorité locale. Le canton de Vaud et les communes n'y sont pas représentés. Son premier but est de régler les rétrocessions d'impôts. Dans le cadre de projets transfrontaliers, comme le CEVA et le Rectangle d'or, son rôle est un pilotage politique mais sans éléments décisionnaires.

Le projet d'agglomération, avec son comité de pilotage de 9 membres français et 9 membres suisses, a mis en crise le CRFG. Les préfets ont remis de l'ordre. La situation évoquée au dernier comité de pilotage est d'élargir le CRFG en y introduisant les communautés locales, y-compris l'Association des communes genevoises (ACG) et le canton de Vaud. Une proposition de structure de portage, sous forme juridique doit être faite, pour la partie opérationnelle du projet d'agglomération, du genre agence d'urbanisme, sur la base d'un cahier des charges. Cette structure serait coiffée par le CRFG.

En fonction de ce qui précède, La question est de savoir s'il faut commencer par le centre ou par l'extérieur.


Autour des années 20-30. L'histoire peut-elle fournir des pistes ?
Alain Léveillé

La fusion de la Cité avec ses faubourgs (Eaux-Vives, Plainpalais, Petit-Saconnex) qui a lieu en 1931 est la suite d'un processus d'intégration qui a commencé au 19ème siècle, lors de la démolition des fortifications.

En 1917, Camille Martin, futur directeur du bureau du plan d'extension, publie un texte sur l'aménagement du territoire. C'est un appel au développement rationnel et harmonieux de Genève, auquel a participé un groupe de citoyens, dont font partie Maurice Braillard et Louis Blondel. Les questions posées sont « quels sont les moyens administratifs et politiques qu'il faut mette en place pour gérer des domaines (11) comme l'urbanisme ou la lutte contre la spéculation ». (Voir les documents apportés par AL) Il s'agit de la relation entre territoire et instrument de gestion de ce territoire. Une étude est faite pour comparer une dizaine de villes et montre par exemple que Bâle-Ville représente 99 % de la population du canton. Vienne est une commune ayant la même surface que le canton de Genève.

En 1927 Camille Martin publie « Pour le grand Genève », qui superpose le territoire à organiser avec les conditions administratives et politiques nécessaires. Un plan de zones est à l'étude : la loi sur l'extension (LEX), ainsi que la loi sur les constructions et installations (LCI). Le réseau de tram transfrontalier se développe jusqu'à Gex, Divonne, Versoix, Douvaine, Annemasse et St-Julien.

En 1933 sous le gouvernement Nicole, le président du département des travaux publics est Maurice Braillard. Il constitue un bureau d'urbanisme de l'Etat qui a comme mission de planifier la Ville et le canton. Actuellement, la Ville de Genève fait son propre plan directeur, ce qui est dérisoire et pathétique. Arnold Hoeschel, Albert Bodmer, chef du service d'urbanisme et Hans Bernouilli, bâlois qui théorise la question de la maîtrise du sol (baux amphitéotiques, droits de superficie), sont ses complices. La proposition qui en découle est une reconfiguration complète de la ville (voir le plan directeur régional de1936) 2)   où l'urbain est en rouge, le suburbain, les colonies d'habitation isolées en rose, l'agriculture en jaune et les surfaces publiques ou sites à classer en vert. Ces dernières, qui constituent la maille verte sont à exproprier pour pouvoir structurer et maîtriser le territoire. Cette maille traverse la frontière sur Gex. Cette maille donne une même structure à la campagne et à la ville et n'est pas radiale.

Discussion :

JD : Braillard a mis en évidence l'importance de la propriété du sol, principalement en ce qui concerne l'espace public cantonal. La propriété du sol a été bien acceptée pour l'industrie et l'artisanat, mais c'est que récemment qu'elle est évoquée pour le logement (voir le concours pour construire des logements à la Praille-Acacias).

DM : Les question qui se posent : Partir de la périphérie vers le centre ? A partir de ce qui se passe autour du centre on réinvestit le milieu ? «…Est-ce que je vois les choses telles qu'elles sont ? Avec le fantasme d'attendrir le centre à partir de la périphérie » 3)  

Peter Sloterdijk cite un vers d'un poème d'Henri Michaux :
« Je ne suis en effet devenu dur que par lamelles
Si l'on savait comme je suis resté moelleux au fond » 4)  

Ou alors, faut-il d'abord résoudre le problème du centre (JDD) ? Mais agir de l'extérieur pour résoudre les problèmes n'empêche pas d'essayer d'agir au centre. Si un nouveau plan de zones devait être établi, ne faudrait-il pas partir de la périphérie ? Venir de l'extérieur ou de l'intérieur n'est pas anodin.

AL : Braillard part du centre mais avec un projet qui organise aussi la périphérie, avec une maille publique (l'espace public cantonal) qui est un quadrillage et non un développement en radiales. C'est une composition du territoire entre urbanisme et nature, avec une retombée dans la maille urbaine de la nature. Par contre, en matière de circulation, il n'y a que des radiales. En ville, la restructuration du bâti s'organise à partir d'un square central. C'est un plan manifeste. M.Braillard traite de tout le territoire de façon égalitaire.


Le projet territorial urbain transfrontalier a-t-il besoin d'institutions qui lui soient propres ?
Louis Cornut

Un autre éclairage est de partir de projets pour essayer de mieux comprendre les difficultés que l'on rencontre dans la mise en œuvre de la ville et par la suite dans sa gestion. En effet, il faut bien séparer ces deux éléments et encore, dans la mise en œuvre on peut distinguer la phase de planification de celle de réalisation.

En Suisse depuis l'introduction de la LAT en 1979, l'obligation d'équiper incombe aux communes.

Dans les grandes opérations d'urbanisation, on bute toujours sur la question communale comme par exemple à Cressy sur les communes de Bernex, Confignon et Onex et dont Guy Olivier Segond avait proposé d'en faire une 46ème commune. Après les difficiles négociations pour adopter la zone et le PLQ, on s'est aperçu que les communes avaient encore un droit de veto dans la mesure où elles n'entreprenaient pas les travaux d'infrastructure nécessaires à la réalisation d'autorisations dûment accordées conformément à la loi. Ce n'est d'ailleurs que dans les années 2000 que le parlement cantonal a introduit un article à cet effet dans la loi.

On retrouve d'ailleurs ces difficultés dans beaucoup d'autres opérations réalisées ou à venir telle Frontenex-La Tulette ou les communaux d'Ambilly. C'est une drôle de relation qu'entretient le canton tout puissant avec ses communes qui n'ont qu'un rôle de préavis… mais qui sont suivies à 99,9 % des cas (à l'exception des Charmilles et des Mouilles sous Grobet !).

Dans chacun de ces cas, les développements projetés à partir de terrains libres se heurtent aux refus des communes pour des raisons sociales et politiques avec comme référence idéologique le village avec son centre, la mairie, l'école, l'église .et sa zone 4b environnante. Chaque fois la vision communale était de dire « pas de densification dans ma périphérie, laissons les terrains en zone 5 » même ci ceux-ci comme à Cologny et Chêne Bougeries jouxtent la ville du 19ème et du début du 20ème siècle.

Aux communaux d'Ambilly on va certainement différer la partie Mon-Idée sur la commune de Puplinge pour les mêmes raisons.

On constate que pour les communes il y a problème d'intégration, en terme quantitatif et qualitatif, des nouveaux habitants (changement de système, changement de majorité…) et problème de mise en place des premières infrastructures (routes, assainissement,…) puis des équipements sociaux-culturels et des transports publics.

C'est notamment pour ces raisons que les lotissements de maisons individuelles sont mieux acceptés dans la mesure où non seulement ils ciblent et limitent la catégorie socio-professionnelle mais en plus transfèrent un certain nombre de charge sur le privé (routes et transports individuels) en évitant le pré-financement d'infrastructures qui ne peuvent être amorties que par les rentrées de taxes ou d'impôts à percevoir avec les premiers habitants. C'est une vision à court terme et contraire au développement durable au sens large.

Notre projet est parti d'une logique différente et c'est dans ce sens qu'il peut également être utile pour mieux comprendre et essayer de résoudre les difficultés objectives rencontrées dans les mises en œuvre de projets et plus tard dans leurs gestions administratives.

En premier lieu il part des flèches inversées de P. Milleret qui sont issues d'une réflexion faite lors d'un des safaris transfrontaliers visant à redéfinir le développement en inversant la tendance habituelle, en partant de l'extérieur vers l'intérieur. Deuxièmement pas de frontières/barrières que ce soit au niveau national, cantonal, départemental ou communal. Troisièmement, pas de tabou entre zone à bâtir et zone agricole. Dès lors le projet définit une ville contemporaine qui se développe sur 45 communes suisses, 15 communes vaudoises et 52 communes françaises.

Comment gérer ce territoire qui devrait avoir un seul parlement ? Faut-il le diviser en arrondissements dans le sens parisien qui sont des unités administratives décentralisées, cas échéant, que faut-il rattacher à ces différentes partitions ?

A noter que dans le projet de cité linéaire, les cinq branches proposées, qui chacune représente environ 100'000 habitants nouveaux, se développent sur 5 à 7 communes et dans ce sens, un processus de fusion pourrait constituer une première étape dans la constitution de la Grande Genève.

Dès lors on pourrait reprendre les grands thèmes (aménagement du territoire, sécurité, déchets, énergie, enseignement, santé, culture, protection sociale, etc.) et essayer de voir quels sont les territoires les plus pertinents qui leur correspondent.

Discussion

DM : N'y a-t-il pas nécessité d'avoir un projet dessiné pour choisir une structure institutionnelle ? Est-ce utile de conserver la structure communale ? Dans notre projet il n'y a pas la prééminence de la Ville de Genève, qui pose toujours problème aux relations Suisse/France.

PhB : Dans le projet d'agglomération, commence à être impliquée la société civile. En France les EPCI prennent de plus en plus la place des communes. La question est : « que doivent faire les communes, qui gère, à quelle échelle »

RS : Lausanne a des potentiels importants tels que l'EPFL, le CIO, le CHUV. Si Lausanne construit son propre projet, elle peut l'utiliser pour redéfinir sa structure, or partir de la région, métropole lémanique ne marche pas.

JPA : Il faudrait que Lausanne puisse discuter avec les communes voisines, or il n'y a pas de débat politique. Le seul souci de Morges est de modifier le passage de l'autoroute qui la coupe en deux, mais il y a moins de liens entre Morges et Lausanne que entre Genève et Lausanne.

DM : Pourtant il y avait de bons dessins sur l'agglomération lausannoise. (Lausanne-Morges)

AL : Le projet est un élément d'investigation puissant, qui met en marche les possibilités de comprendre ce qu'il faut faire. Braillard n'a pas réalisé son plan mais a construit une théorie.

AD : Ce n'est pas anodin si la discussion financière n'est jamais abordée. Le coût des doublons devrait être estimé en termes d'impôts.

MBM : Notre projet va être chiffré en terme d'empreinte écologique ou d'évaluation environnementale stratégique, en comparaison avec le développement habituel. Le bilan transport devrait être très différent.

DM : Il faut dessiner les nouvelles zones de construction. C'est différent d'un pourcentage sur la zone agricole, où on construit partout (et n'importe où).

LC : La Ville fait actuellement un plan directeur communal. Contrairement aux directives, elle ne consulte pas ses voisins.

Participants :
Jean-Pierre Allamand
Marika Bakonyi Moeschler
Philippe Brun
Louis Cornut
Jean-Daniel Delley
Jan Doret
Alessandro Dozio
Christa Hirschi
Alain Léveillé
Daniel Marco
Cyrus Mechkat
Rose-Marie Meichtry
Théodore Necker
Raymond Schaffert

Excusés :
Pierre Milleret
Nicole Valiquer


1)   Une assemblée constituante est une institution collégiale avec pour tâche la rédaction, ou l'adoption, d'une constitution, c'est-à-dire le texte fondamental d'organisation des pouvoirs publics d'un pays, (in Wikipédia)

2)   in « 1896 – 2001 Projets d’urbanisme pour Genève », Centre de recherche sur la rénovation urbaine de l'institut d'architecture de l'université de Genève, et Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL) de l'Etat de Genève, Georg éditeur, 2003

3)   Peter Sloterdijk in « Ni le soleil ni la mort. Jeu de piste sous la forme de dialogue avec Hans-Jurgen Heinrich » Jean-Jacques Pauvert 2002

4)   Henri Michaux in « Oeuvres complètes » Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Gallimard 1998